Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/172

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le déluge arriva de son vivant.

Un matin du mois d’avril, son valet de chambre, qui était un bâtard scrofuleux de quelque portier parisien, par lui formé, dressé et stylé, l’éveilla sur les neuf heures en lui disant :

— Monsieur, il y a dans l’antichambre, en bas, un huissier qui vient, à ce qu’il prétend, pour saisir les meubles de monsieur.

Hector se retourna sur ses oreillers, bâilla, se détira et répondit :

— Eh bien, dis-lui de commencer l’opération par les écuries et les remises et remonte m’habiller.

Il ne parut pas autrement ému, et le domestique se retira surpris et émerveillé du flegme de son maître.

C’est que le comte avait du moins ce mérite de savoir au juste à quoi s’en tenir sur sa situation financière, et cette invasion de l’huissier, il la prévoyait, je dirai plus, il l’attendait.

Il y avait trois ans qu’à la suite d’une chute de cheval qui le mit sur le lit six semaines, le comte de Trémorel avait mesuré la profondeur du gouffre où il courait.

Alors, il pouvait encore se sauver. Mais quoi ! il lui eût fallu changer son genre de vie, réformer sa maison, apprendre qu’il faut vingt pièces d’un franc pour faire un louis ! Fi, jamais !

Il lui parut que, donner un louis de moins par mois à sa maîtresse en titre, ce serait rogner d’un centimètre le piédestal que lui avaient élevé ses contemporains. Plutôt mourir !

Et après mûres réflexions, il se dit qu’il irait jusqu’au bout. Ses aïeux ne mouraient-ils pas tout d’une pièce ? Le mauvais quart d’heure venu, il s’enfuirait à l’autre bout de la France, démarquerait son linge et se ferait sauter la cervelle au coin de quelque bois.

L’échéance fatale était arrivée.

C’est qu’à force de contracter des obligations, de signer des lettres de change, de renouveler des billets, de payer des intérêts et les intérêts des intérêts, de donner des