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XII


À vingt-six ans, le comte Hector de Trémorel était le modèle achevé, le parfait idéal du gentilhomme viveur, tel qu’il peut l’être à notre époque, inutile à soi et aux autres, nuisible même, semblant mis sur terre expressément pour jouir aux dépens de tout et de tous.

Jeune, très-noble, élégant, riche à millions, doué d’une santé de fer, ce dernier descendant d’une grande race, gaspillait le plus follement, d’aucuns disaient le plus indignement du monde, et sa jeunesse et son patrimoine.

Il est vrai, qu’à ces excès de tous les genres, il avait conquis une magnifique et peu enviable célébrité.

On citait ses écuries, ses équipages, ses gens, son mobilier, ses chiens, ses maîtresses.

Ses chevaux de rebut faisaient encore prime, et une drôlesse distinguée par lui acquérait aussitôt une valeur plus grande, comme un effet de commerce sur lequel tomberait la signature de M. de Rotchshild.

N’allez pas croire, au moins, que ce jeune homme fût né mauvais ! Il avait eu du cœur et même de généreuses idées, autrefois, à vingt ans. Six années de bonheurs malsains l’avaient gâté jusqu’à la moelle.

Vaniteux jusqu’à la folie, il était prêt à tout pour garder sa famosité. Il avait l’égoïsme farouche et terrible de quiconque n’a jamais eu à s’occuper que de soi et n’a jamais souffert. Enivré jusqu’au vomissement des plates flagorneries de soi-disant amis qu’attirait son argent, il s’admirait en conscience, prenant pour de l’esprit son cynisme brutal, et pour du caractère son superbe dédain