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— On ne tue pas sa femme, dit-il, pour cette seule raison qu’on ne l’aime plus et qu’on en adore une autre. On quitte sa femme, on va vivre avec sa maîtresse, et tout est dit. Cela se voit tous les jours, et ni la loi, ni l’opinion ne condamnent bien sévèrement l’homme qui agit ainsi.

— Mais, objecta le médecin, quand c’est la femme qui possède la fortune !…

— Ce n’est pas ici le cas, répondit l’agent de la sûreté ; je suis allé aux informations, M. de Trémorel possédait de son chef cent mille écus, débris d’une fortune colossale sauvés par son ami Sauvresy, et sa femme, par leur contrat de mariage, lui a de plus reconnu un demi-million. Avec huit cent mille francs, on peut vivre à l’aise partout. D’ailleurs, le comte était parfaitement maître de toutes les valeurs de la communauté. Il pouvait vendre, acheter, réaliser, emprunter, placer et déplacer les fonds à sa fantaisie.

Le docteur Gendron n’avait rien à répondre. M. Lecoq continua, parlant avec une certaine hésitation, tandis que ses yeux interrogeaient le père Plantat.

— C’est dans le passé, je le sens, qu’il faut chercher les raisons de ce meurtre d’aujourd’hui et les motifs de la terrible résolution de l’assassin.

Un crime liait le comte et la comtesse si indissolublement, que la mort seule de l’un pouvait rendre la liberté à l’autre.

Ce crime, je l’ai soupçonné du premier coup, je l’ai entrevu à chaque moment depuis ce matin, et l’homme que nous venons d’enfermer là, Robelot le rebouteux, qui voulait assassiner monsieur le juge de paix, en a été l’agent ou le complice.

Le docteur Gendron n’avait pas assisté aux diverses scènes qui, dans la journée au Valfeuillu, le soir chez le maire d’Orcival, avaient établi une tacite entente entre le père Plantat et l’homme de la préfecture. Il lui fallait toute la perspicacité dont il est doué pour combler les lacunes et deviner les sous-entendus de la conversation