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ressortir la pâleur mate de son teint et le ferme dessin de sa tête énergique.

Il avait au cou, un peu au-dessous du menton, une blessure qui saignait.

— Monsieur Lecoq ! exclama le juge de paix, recouvrant enfin la parole.

— Lui-même, répondit l’agent de la sûreté, et, pour cette fois seulement, le vrai.

Et s’adressant au rebouteux, tout en lui donnant un rude coup d’épaule :

— Avance, toi, dit-il.

Le rebouteux tomba à la renverse sur un fauteuil, mais l’homme de la police continua à le tenir.

— Oui, poursuivait-il, ce gredin m’a arraché mes ornements blonds. C’est grâce à lui, et bien malgré moi, que je vous apparais au naturel, avec la tête qui m’a été donnée par le Créateur, et qui est bien à moi.

Il eut un geste insouciant et ajouta, moitié fâché, moitié souriant :

— Je suis le vrai Lecoq, et sans mentir, il n’y a pas plus de trois personnes qui le connaissent après vous, messieurs : deux amis sûrs et une amie qui l’est infiniment moins, celle dont je parlais tout à l’heure.

Les yeux du père Plantat et de M. Gendron interrogeaient avec tant d’instances, que l’agent de la sûreté continua :

— Que voulez-vous ! Tout n’est pas roses, dans le métier. On court, à écheniller la société, des dangers qui devraient bien nous concilier l’estime de nos contemporains à défaut de leur affection. Tel que vous me voyez je suis condamné à mort par sept malfaiteurs, les plus dangereux qui soient en France. Je les ai fait prendre, et ils ont juré, — et ce sont des hommes de parole, — que je ne mourrais que de leur main. Où sont-ils, ces misérables ? Quatre sont à Cayenne, un est à Brest ; j’ai de leurs nouvelles. Mais les deux autres ? J’ai perdu leur piste. Qui sait si l’un d’eux ne m’a pas suivi jusqu’ici, qui me dit que demain, au détour d’un chemin