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Et tout aussitôt, un grand cri, un cri déchirant traversa l’espace, et la voix railleuse de l’homme de la préfecture dit :

— Le voilà ! je l’ai décidé à venir nous présenter ses civilités, éclairez-nous un peu.

Le médecin et le juge de paix se précipitèrent ensemble vers la lampe. De leur empressement, un retard résulta, et au moment où le docteur Gendron s’emparant du luminaire l’élevait à sa hauteur, la porte du salon s’ouvrit, brutalement poussée.

— Je vous présente, messieurs, disait l’agent de la sûreté, le sieur Robelot, rebouteux à Orcival, herboriste par prudence et empoisonneur par vocation.

Telle était la stupéfaction du père Plantat et de M. Gendron, que ni l’un ni l’autre ne put répondre.

C’était bien le rebouteux, en effet, remuant dans le vide ses mâchoires désarticulées. Son adversaire l’avait jeté bas au moyen de ce terrible coup du genou qui est la suprême défense et l’ultima ratio des pires rôdeurs de barrières parisiens.

Mais ce n’était pas la présence, presque inexplicable pourtant, de Robelot, qui surprenait si fort le juge et son ami.

Leur stupeur venait de l’apparence de cet autre homme qui, de sa poigne d’acier, aussi rigide que des menottes, maintenait l’ancien garçon de laboratoire du docteur et le poussait en avant.

Il avait incontestablement la voix de M. Lecoq, son costume, sa cravate à nœud prétentieux, sa chaîne de montre en crin jaune, et cependant ce n’était pas, non ce n’était plus M. Lecoq.

Sorti par la fenêtre, blond, avec des favoris bien ratissés, il rentrait par la porte, brun et le visage glabre.

Celui qui était sorti, était un homme mûr, à physionomie capricieuse, prenant à volonté, l’air idiot ou l’air intelligent ; celui qui rentrait était un beau garçon de trente-cinq ans à l’œil fier, à la lèvre frémissante : de magnifiques cheveux noirs bouclés faisaient vigoureusement