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— Voici donc, reprit-il, la première partie du drame. À ce transport furieux succède chez le comte un irrésistible anéantissement.

Les circonstances diverses que je vous décris, se remarquent d’ailleurs dans presque tous les grands crimes. Toujours, l’assassin, après le meurtre, est saisi d’une haine épouvantable et inexpliquée centre sa victime, et souvent il s’acharne après le cadavre. Puis, vient une période d’affaissement, si grand, de torpeur si invincible, qu’on a vu des misérables s’endormir littéralement dans le sang, qu’on les surprenait endormis, qu’on avait toutes les peines du monde à les réveiller.

Lorsqu’il a eu affreusement mutilé le corps de sa femme, M. de Trémorel a dû se laisser tomber dans un des fauteuils de la chambre. Et, en effet, les lambeaux de l’étoffe d’un des siéges ont gardé certains plis qui indiquent bien qu’on s’est assis dessus.

Quelles sont alors les réflexions du comte ? Il songe aux longues heures envolées, aux heures si courtes qui lui restent. Il n’a rien trouvé. Il songe que c’est à peine si, avant le jour, il aura le temps d’exécuter les mesures dont l’ensemble doit dérouter l’instruction et assurer son impunité en faisant croire à sa mort. Et il faut fuir, bien vite, fuir sans ce papier maudit.

Il rassemble ses forces, il se lève, et, savez-vous ce qu’il fait ?

Il saisit une paire de ciseaux et coupe sa longue barbe si soignée.

— Ah ! interrompit le père Plantat, voilà donc pourquoi vous regardiez tant le portrait.

M. Lecoq mettait trop d’attention à suivre le fil de ses déductions pour relever l’interruption.

— Il est, poursuivait-il, de ces détails vulgaire que leur trivialité précisément rend terribles, lorsqu’ils sont entourés de certaines circonstances.

Vous représentez-vous le comte de Trémorel, pâle, couvert du sang de sa femme, debout devant sa glace et se rasant, faisant mousser le savon sur sa figure, dans