Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elles nous expliquent d’abord comment, la nuit du crime, précisément, il y avait au Valfeuillu toute une fortune.

Et cette particularité me paraît décisive. En effet, lorsqu’on reçoit, pour les garder chez soi, des valeurs importantes, on le dissimule d’ordinaire autant que possible.

M. de Trémorel n’a pas cette prudence élémentaire.

Il montre à tous ses liasses de billets de banque, il les manie, il les étale, les domestiques les voient, les touchent presque ; il veut que tout le monde sache bien et puisse répéter qu’il a chez lui des sommes considérables, faciles à prendre, à emporter, à cacher.

Et quel moment choisit-il, pour cet étalage imprudent en toute occasion ?

Le moment juste où il sait, où chacun sait dans le voisinage, qu’il passera la nuit seul au château avec Mme de Trémorel.

Car il n’ignore pas que tous ses domestiques sont conviés pour le 8 juillet au soir, au mariage de l’ancienne cuisinière, madame Denis. Il l’ignore si peu, que c’est lui qui fait les frais de la noce et que lui-même a fixé le jour, lorsque madame Denis est venue présenter à ses anciens maîtres son futur mari.

Vous me direz peut-être que c’est par hasard, que cette somme, — qu’une des femmes de chambre qualifiait d’immense, — a été envoyée au Valfeuillu précisément la veille du crime.

À la rigueur on peut l’admettre.

Cependant, croyez-moi, il n’y a pas là de hasard, et je le prouverai. Demain, nous nous présenterons chez le banquier de M. de Trémorel et nous lui demanderons si le comte ne l’a pas prié, par écrit ou verbalement, de lui envoyer les fonds ce jour du 8 juillet, fixe.

Or, messieurs, si ce banquier nous répond affirmativement, s’il nous montre une lettre, s’il nous donne sa parole d’honneur que l’argent lui a été demandé de vive voix, j’aurai, avouez-le, plus qu’une probabilité en faveur de mon système.