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Ce nom, le docteur Gendron et le père Plantat l’avaient deviné, mais personne encore n’avait osé formuler les soupçons. Ils l’attendaient, ce nom de Trémorel, et cependant jeté ainsi, au milieu de la nuit, dans cette grande pièce sombre, par ce personnage au moins bizarre, il les fit tressaillir d’un indicible effroi.

— Remarquez, reprit M. Lecoq, que je dis : je crois. Pour moi, en effet, le crime du comte n’est encore qu’excessivement probable. Voyons, si à nous trois nous arriverons à une certitude.

C’est que voyez-vous, messieurs, l’enquête d’un crime n’est autre chose que la solution d’un problème.

Le crime donné, constant, patent, on commence par en rechercher toutes les circonstances graves ou futiles, les détails, les particularités.

Lorsque circonstances et particularités ont été soigneusement recueillies, on les classe, on les met en leur ordre et à leur date.

On connaît ainsi la victime, le crime et les circonstances, reste à trouver le troisième terme, l’x, l’inconnu, c’est-à-dire le coupable.

La besogne est difficile, mais non tant qu’on croit. Il s’agit de chercher un homme dont la culpabilité explique toutes les circonstances, toutes les particularités relevées, — toutes, vous m’entendez bien. — Le rencontre-t-on, cet homme, il est probable — et neuf fois sur dix la probabilité devient réalité — qu’on tient le coupable.

Ainsi, messieurs, procédait Tabaret, mon maître, notre maître à tous, et en toute sa vie il ne s’est trompé que trois fois.

Si claire avait été l’explication de M. Lecoq, si logique sa démonstration, que le vieux juge et le médecin ne purent retenir une exclamation admirative :

— Très-bien !

— Examinons donc ensemble, poursuivit, après s’être incliné, l’agent de la sûreté, examinons si la culpabilité hypothétique du comte de Trémorel explique toutes les circonstances du crime du Valfeuillu.