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— Eh bien ! figurez-vous que je ne me trouvais pas le plus heureux des hommes. C’est que, j’ai oublié de vous le dire, j’avais deux petits vices, j’aimais les femmes et j’aimais le jeu. On n’est pas parfait. Les 70 francs de mon astronome me semblaient insuffisants, et tout en alignant mes colonnes de chiffres, je songeais au moyen de faire fortune du soir au lendemain. Il n’est en somme qu’un moyen : s’approprier le bien d’autrui assez adroitement pour n’être pas inquiété. C’est à quoi je pensais du matin au soir. Mon esprit, fertile en combinaisons, me présentait cent projets plus praticables les uns que les autres. Je vous épouvanterais si je vous racontais la moitié seulement de ce que j’imaginais en ce temps-là. S’il existait, voyez-vous, beaucoup de voleurs de ma force, il faudrait rayer du dictionnaire le mot propriété. Les précautions aussi bien que les coffres-forts seraient inutiles. Heureusement pour ceux qui possèdent, les malfaiteurs sont des idiots. Les filous de Paris — la capitale de l’intelligence — en sont encore au vol à l’américaine et au vol au poivrier ; c’est honteux.

— Où veut-il en venir ? pensait le docteur Gendron.

Et alternativement il examinait le père Plantat, dont l’attention ressemblait au recueil de la réflexion, et l’agent de la sûreté, qui déjà poursuivait :

— Moi-même, un jour, j’eus peur de mes idées. Je venais d’inventer une petite opération au moyen de laquelle, on enlèverait 200,000 francs à n’importe quel banquier, sans plus de danger et aussi aisément que j’enlève cette tasse. Si bien que je me dis : « Mon garçon, pour peu que cela continue, un moment viendra où, de l’idée, tu passeras naturellement à l’exécution. »

C’est pourquoi, étant né honnête, — une chance, — et tenant absolument à utiliser les aptitudes que m’avait départies la nature, huit jours plus tard je remerciais mon astronome et j’entrais à la préfecture. Dans la crainte de devenir voleur, je devenais agent de police.

— Et vous êtes content du changement ? demanda le docteur Gendron.