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riels, pendant que le nôtre ne repose que sur des sensations très-discutables.

— Nous avons mieux que des sensations, M. Lecoq, répondit le juge de paix.

— Je pense comme vous, approuva le docteur, mais encore faut-il prouver.

— Et je prouverai, mille diables ! répondit vivement M. Lecoq. L’affaire est compliquée, difficile, tant mieux ! Eh ! si elle était simple, je retournerais sur-le-champ à Paris, et demain je vous enverrais un de mes hommes. Je laisse aux enfants les rébus faciles. Ce qu’il me faut, à moi, c’est l’énigme indéchiffrable, pour la déchiffrer ; la lutte, pour montrer ma force ; l’obstacle, pour le vaincre.

Le père Plantat et le docteur n’avaient pas assez d’yeux pour regarder l’homme de la police. Il était comme transfiguré.

C’était encore le même homme, à cheveux et à favoris jaunes, à redingote de propriétaire, et cependant le regard, la voix, la physionomie, les traits même avaient changé. Des paillettes de feu s’allumaient dans ses yeux, sa voix avait un timbre métallique et vibrant, son geste impérieux affirmait l’audace de sa pensée et l’énergie de sa résolution.

— Vous pensez bien, messieurs, poursuivit-il, qu’on ne fait pas de la police comme moi, pour les quelques milliers de francs que donne par an la préfecture. Autant s’établir épicier, si on n’a pas la vocation. Tel que vous me voyez, à vingt ans, après de fortes études, je suis entré comme calculateur chez un astronome. C’est une position sociale. Mon patron me donnait 70 francs par mois et le déjeuner. Moyennant quoi je devais être bien mis et couvrir de chiffres je ne sais combien de mètres carrés par jour.

M. Lecoq tira précipitamment quelques bouffées de son cigare qui s’éteignait, tout en observant curieusement le père Plantat.

Bientôt il reprit :