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Je n’ai pas su, non, je n’ai pas su résister à celui qui pleurait à mes genoux en me jurant un amour éternel et qui maintenant m’abandonne.

Maintenant, c’est fini, je suis perdue, déshonorée. Je suis enceinte et il me devient impossible de cacher plus longtemps l’horrible faute.

Ô chers parents, ne me maudissez pas. Je suis votre fille, je ne saurais courber le front sous les mépris, je ne survivrai pas à mon honneur.

Quand cette lettre vous sera remise, j’aurai cessé d’exister. J’aurai quitté la maison de ma tante, et je serai allée loin, bien loin, où nul ne pourra me reconnaître. Là, je saurai finir mes misères et mon désespoir.

Adieu donc, ô mes parents aimés, adieu ! Que ne puis-je, une dernière fois, vous demander pardon à genoux.

Ma mère chérie, mon bon père, ayez pitié d’une malheureuse égarée ; pardonnez-moi, oubliez-moi. Que Lucile, ma sœur, ne sache jamais…

Encore adieu, j’ai du courage, l’honneur commande.

À vous, la dernière prière et la suprême pensée de votre pauvre Laurence… »

De grosses larmes roulaient silencieuses le long des joues du vieux juge de paix pendant qu’il déchiffrait cette lettre désespérée.

Une rage froide, muette, terrible, pour qui le connaissait, crispait les muscles de son visage.

Quand il eut achevé, il prononça, d’une voix rauque, ce seul mot :

— Misérable !

M. Courtois entendit cette exclamation.

— Ah ! oui, misérable, s’écria-t-il, misérable, ce vil séducteur qui s’est glissé dans l’ombre pour me ravir mon plus cher trésor, ma fille bien aimée. Hélas ! elle ne savait rien de la vie. Il a murmuré à son oreille de ces paroles d’amour qui font battre le cœur de toutes les jeunes filles, elle a eu foi en lui, et maintenant, il l’abandonne. Oh ! si je le connaissais, si je savais…