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Le juge de paix et le docteur n’en écoutèrent pas davantage, ils entrèrent vivement.

Derrière eux venait M. Lecoq. Il avait confié son sac de nuit à Baptiste avec un : « Porte-moi ça chez le juge de paix, et leste, » qui fit trembler le domestique qu’on ne gronde jamais et lui donna des jambes.

Le malheur, lorsqu’il entre dans une maison, semble le marquer dès le seuil de son empreinte fatale. Peut-être n’en est-il pas ainsi en réalité, mais c’est le sentiment qu’éprouvent invinciblement les personnes prévenues.

Pendant que le médecin et le père Plantat traversaient la cour, il leur semblait que cette maison si hospitalière, si gaie et si vivante la veille, présentait un aspect lugubre.

À l’étage supérieur, on voyait des lumières aller et venir. On s’occupait de la plus jeune des filles de M. Courtois, Mlle Lucile, qui avait été prise d’une affreuse attaque de nerfs.

Dans le vestibule, une fillette de quinze ans qui servait de femme de chambre à Mlle Laurence, était assise sur la première marche de l’escalier. Elle avait relevé son tablier sur sa tête, comme font à la campagne les femmes au désespoir, et pleurait à fendre l’âme.

Quelques domestiques étaient là, effarés, immobiles, ne sachant que faire, que devenir dans ce désarroi.

La porte du salon, mal éclairé par deux bougies, était toute grande ouverte. Dans un vaste fauteuil près de la cheminée, Mme Courtois était renversée plutôt qu’assise. Au fond, près des fenêtres donnant sur le jardin, M. Courtois gisait sur le canapé.

On lui avait retiré son paletot et pour aller plus vite, au moment où sa vie dépendait d’un coup de lancette, on avait déchiré et arraché les manches de sa chemise et de son gilet de flanelle. Des bandes de toile, comme on en ajuste après les saignées, entouraient ses deux bras nus.

Près de la porte, un petit homme vêtu comme les ar-