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L’arrivée inattendue du vieux juge de paix contraria sensiblement le tranquille Baptiste, interrompu par la fuite de ses auditeurs juste au milieu d’un superbe mouvement oratoire.

Comme cependant il a grand peur du bonhomme, il dissimula sa contrariété sous son sourire habituel.

— Ah ! monsieur, s’écria-t-il, lorsque le père Plantat ne fut plus qu’à trois pas, ah ! monsieur, quelle histoire ! Je courais vous chercher…

— Ton maître a besoin de moi ?

— C’est à n’y pas croire, poursuivit Baptiste. En sortant du Valfeuillu, ce soir, monsieur se met à courir, si fort, mais si fort, que c’est à peine si je pouvais le suivre.

Baptiste s’interrompit pour placer une réflexion qui lui venait.

— Monsieur n’a pas l’air leste, n’est-ce pas ! Eh bien ! il l’est, allez, et joliment, quoique gros !

Le père Plantat impatienté frappa du pied.

— Enfin, reprit le domestique, nous arrivons ici, bon ! monsieur se précipite comme un ouragan dans le salon où se trouvait madame sanglotant comme une Madeleine. Il était si essoufflé qu’il pouvait à peine parler. Les yeux lui sortaient de la tête, et il disait comme ça : « — Qu’y a-t-il ? qu’y a-t-il ? » Alors, madame qui ne pouvait pas parler non plus, lui a tendu la lettre de mademoiselle qu’elle tenait à la main.

Les trois auditeurs de Baptiste étaient comme sur des charbons ardents et le drôle qui s’en apercevait, égrenait de plus en plus lentement ses paroles.

— Voilà donc, continua-t-il, monsieur qui prend la lettre et qui s’approche de la fenêtre pour y voir plus clair à lire. Oh ! d’un coup d’œil il a eu tout lu. Pour lors — on voit tout de même des choses singulières — il a poussé un cri rauque, comme cela, tenez : « Oh ! » puis il s’est mis à battre l’air de ses deux mains, comme un chien qui nage, puis il a fait deux tours sur lui-même et