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M. Lecoq crut devoir s’incliner.

— Eh bien ! reprit le médecin, vos prévisions se trouvent réalisées. Entre le premier coup de poignard qui a donné la mort et les autres, il ne s’est peut-être pas écoulé tout le temps que vous supposez, mais je suis persuadé que Mme de Trémorel avait cessé de vivre depuis près de trois heures, lorsqu’on l’a frappé de nouveau.

M. Gendron s’était approché du billard et lentement il avait relevé le drap mortuaire, découvrant ainsi la tête et une partie du buste du cadavre.

— Éclairez-nous donc, Plantat, demanda-t-il.

Le vieux juge de paix obéit. Il prit la lampe et passa de l’autre côté du billard. Sa main tremblait si fort que le globe et le verre s’entrechoquaient. La lumière vacillante promenait sur les murs des ombres sinistres.

Cependant le visage de la comtesse avait été lavé soigneusement, les plaques de sang et de vase avaient été enlevées. La marque des coups était ainsi plus visible, mais on retrouvait sur cette figure livide les traces de sa beauté.

M. Lecoq se tenait en haut du billard, se penchant pour examiner de plus près.

Mme de Trémorel, disait le docteur Gendron, a reçu dix-huit coups de poignard. De toutes ces blessures, une seule est mortelle, c’est celle-ci, dont la direction est presque verticale ; tenez, là, un peu au-dessous de l’épaule.

En même temps, il montrait la plaie béante, et sur son bras gauche il soutenait le cadavre dont les admirables cheveux blonds s’éparpillaient sur lui.

Les yeux de la comtesse avaient conservé une expression effrayante. Il semblait que de sa bouche entr’ouverte ce cri allait s’échapper : « À moi ! au secours !! »

Le père Plantat, l’homme au cœur de pierre, détournait la tête, et le docteur, devenu maître de son émotion première, continuait de cette voix un peu emphatique des professeurs à l’amphithéâtre.