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daient après boire. Ils y buvaient pourtant encore, car ma femme faisait venir des paniers de vin et d’eau-de-vie, et tant que j’étais à la mer, on se soûlait pêle-mêle. Quand l’argent lui manquait, elle écrivait au comte ou à sa maîtresse, et les orgies continuaient. Quelquefois j’avais comme des doutes qui me travaillaient ; alors, sans raison, pour un non, pour un oui, je la battais jusqu’à plus soif, puis je pardonnais encore, comme un lâche, comme un imbécile. C’était une existence d’enfer. Je ne sais pas ce qui me procurait le plus de plaisir, de l’embrasser ou de la rouer de coups. Tout le monde, dans le bourg, me méprisait et me tournait le dos ; on me croyait complice ou involontairement dupe. J’ai su plus tard qu’on supposait que je tirais profit de la conduite de ma femme, tandis qu’au contraire elle payait ses amants. En tout cas, on se demandait d’où venait tout l’argent qui se dépensait chez nous. Pour me distinguer d’un de mes cousins nommé Lerouge, on avait joint à mon nom un mot infâme. Quelle honte, monsieur ! Et je ne savais rien de tant de scandales, non, rien ! N’étais-je pas le mari ? Par bonheur, mon père était mort.

M. Daburon eut pitié :

— Reposez-vous, mon ami, dit-il, remettez-vous.

— Non, répondit le marin, j’aime mieux faire vite. Un homme eut la charité de me prévenir, le curé. Si jamais celui-là a besoin de Lerouge !… Sans per-