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croissante qu’ils portent le fardeau de leur responsabilité. Déjà bon nombre d’entre eux reculent devant l’idée de la peine de mort. S’il se trouve qu’elle est appliquée, ils demandent à se laver du sang du condamné. On en a vu signer un recours en grâce, et pour qui ? Pour un parricide. Chaque juré, au moment d’entrer dans la salle de délibérations, songe infiniment moins à ce qu’il vient d’entendre, qu’au risque qu’il court de préparer à ses nuits d’éternels remords. Il n’en est pas un qui, plutôt que de s’exposer à retenir un innocent, ne soit résolu à lâcher trente scélérats.

L’accusation doit donc arriver devant le jury armée de toutes pièces et les mains pleines de preuves. C’est au juge d’instruction à forger ces armes et à condenser ces preuves. Tâche délicate hérissée de difficultés, souvent très-longue. Il arrive que le prévenu a du sang-froid, qu’il est certain de n’avoir pas laissé de traces, alors, du fond de son cachot, au secret, il défie tous les assauts de la justice. C’est une lutte terrible, et qui fait frémir si l’on vient à songer qu’après tout cet homme, enfermé sans conseil et sans défense, peut être innocent. Le juge saura-t-il résister aux entraînements de sa conviction intime ?

Bien souvent la justice est réduite à s’avouer vaincue. Elle est persuadée qu’elle a trouvé le coupable ; la logique le lui montre, le bon sens le lui indique,