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voyage en la société d’un homme devenu pareil à une brute.

Il pensait aussi à leur petite maison de Phalsbourg, où ils retrouvaient leur père le soir après la journée de travail, et il se disait :

— Oh ! combien sont heureux ceux qui ont une famille, une maison où on les aime, et qui ne sont pas forcés de voyager sans cesse avec des gens qu’ils ne connaissent point.



XXXI. — L’ivrogne endormi. — Une louable action des deux enfants. — La fraternité humaine.


Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. Faites aux autres ce que vous voudriez qu’on vous fît.


Une grande heure se passa ainsi dans l’anxiété. Le cheval allait comme le vent, car les coups pleuvaient sur lui plus drus que grêle.

Enfin à la longue l’ivrogne, appesanti par le vin, cessa de jurer et de fouetter ; il se renversa en arrière sur son siège et finit par s’endormir du lourd sommeil de l’ivresse. Aussitôt le cheval, de lui-même, comme s’il devinait cet incident prévu, ralentit le pas peu à peu : bientôt même il s’arrêta tout à fait, heureux sans doute de souffler à l’aise après la course folle qu’il venait d’exécuter.

L’ivrogne ne bougea point : il ronflait à poings fermés.

Alors nos enfants, pris d’une même idée tous les deux, se levèrent sans bruit, saisissant leurs petits paquets de voyageurs et leurs bâtons. Ils enjambèrent doucement par dessus le voiturier, et d’un saut s’élancèrent sur la grande route, courant à cœur joie, tout aises d’être enfin en liberté.

— Oh ! André, s’écria Julien, j’aimerais mieux marcher à pied toute ma vie, par les montagnes et les grands bois, que d’être en compagnie d’un ivrogne, eût-il une calèche de prince.

— Sois tranquille, Julien, nous profiterons de la leçon désormais, et nous ne nous remettrons plus aux mains du premier venu.

Pendant ce temps le cheval, surpris en entendant sauter les enfants, s’était mis à marcher et les avait devancés. Comme le voiturier dormait toujours, la voiture s’en allait au hasard, effleurant les fossés et les arbres de la route.

Par un moment, une des roues passa sur un tas de pierres ;