Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/305

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Frantz, lui dit-il, à demi-voix, tu arrives à propos, car je suis dans la peine et je compte sur ton amitié pour me donner du courage. Il va me falloir encore quitter ma femme et mes enfants, alors que j’espérais passer ici auprès d’eux le temps qui me reste à vivre : je suis tout triste en y pensant.

Pendant qu’il disait ces mots, les yeux limpides du vieux pilote devenaient humides malgré lui. Tout d’un coup, faisant effort sur lui-même et se redressant brusquement : — Allons, dit-il, ce n’est qu’une espérance à abandonner. — Et comme Frantz l’interrogeait : — Voici, dit-il, en deux mots ce dont il s’agit. Le parent qui nous a laissé cette propriété en héritage avait emprunté de l’argent sur sa terre ; je ne puis rembourser cet argent, et je vais être obligé de vendre la terre ; mais les biens ont tant baissé de prix depuis la guerre et la ferme est en si triste état, que je ne la vendrai pas moitié de ce qu’elle vaut. Je serai donc après cela au même point qu’avant d’hériter, et je n’aurai d’autre ressource que de retourner sur l’Océan.

L’oncle Frantz s’approcha du pilote et prenant sa main dans les siennes :

— Guillaume, dit-il avec émotion, te rappelles-tu cette nuit d’angoisse que nous avons passée ensemble au milieu de la tempête ? Nous te devons la vie. À présent que tu te trouves dans l’embarras, c’est à nous de te venir en aide.

— Oui, dit André en s’approchant, nous vous avons promis alors d’aider les autres à notre tour comme vous nous avez aidés vous-même ; nous tiendrons notre promesse.

— Mes braves amis, dit Guillaume, malheureusement vous ne pouvez rien : je n’ai besoin que d’argent, et vous en avez, hélas ! moins encore que moi-même.

— Guillaume, reprit l’oncle Frantz, tu te trompes : je ne suis plus aussi pauvre que je l’étais quand tu nous as quittés, et c’est maintenant surtout que j’en suis heureux, puisque je puis t’être utile.

En même temps il avait tiré de sa poche une liasse de papiers.

— Tiens, dit-il, regarde : les honnêtes gens ne manquent pas encore en France ; le fils de l’armateur de Bordeaux m’a remboursé tout ce qui m’était dû par son père. Prends cela,