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D’abord, les premiers jours qu’on était sur le navire, il y avait de grosses vagues, si grosses que cela nous ballottait comme les feuilles sur un arbre quand le vent souffle. On ne pouvait pas marcher sur le plancher du navire sans risquer de tomber. Il fallait donc rester toujours assis comme si on était en pénitence, et puis à table, quand on voulait boire, le vin vous tombait tout d’un coup dans le col de votre chemise, au lieu de vous tomber dans la gorge. Et alors, petit à petit, à force d’être toujours secoué comme cela, on finissait par avoir envie de vomir. Les marins riaient : — Bah ! disaient-ils, ce n’est rien, petit Julien, c’est le mal de mer, cela passera.

Hélas ! Jean-Joseph, cela ne passait pas vite du tout ; on ne pouvait plus ni boire ni manger, on ne faisait rien que de vomir. Mon Dieu ! j’aurais bien voulu, je vous assure, être alors avec vous à tisser des paniers le soir, tout uniment, au coin du feu.

Enfin, tout de même, à la longue cela s’en est allé ; ce coquin de mal de mer est passé, et je me suis remis à travailler dans un petit coin du navire, comme si j’étais à l’école.



LXXXIX. — Suite de la lettre de Julien.


Jeudi matin.


Ne voilà-t-il pas une autre affaire, Jean-Joseph ! Une tempête qui nous assaille. Une tempête méchante comme tout. C’était un vent comme vous n’en avez jamais vu, bien sûr ; et tant mieux pour vous, Jean-Joseph, de ne pas connaître cela.

Les vagues se heurtaient les unes aux autres, hautes comme des montagnes, et avec un bruit pareil à celui du canon. Par moment, elles emportaient le navire, et nous avec, tout en l’air ; et puis après, elles nous rejetaient tout en bas, comme pour nous mettre en pièces. Elles passaient sans cesse par-dessus le pont, et les matelots, qui sont des hommes bien braves, allez, Jean-Joseph, les matelots avaient des figures sombres comme des gens qui auraient peur de mourir ; mais peur en eux-mêmes, sans en dire un mot aux autres. Jugez si le cœur me battait, à moi. Je ne cessais de prier le bon Dieu de nous secourir. Je pensais à toute sorte de choses d’autrefois qui me rendaient plus triste encore. Je me souvenais