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rendre sa forteresse. — « Rendez-moi d’abord ma jambe, répondit-il. » Et comme l’un des envoyés, irrita de cette saillie, lui répliquait : « Nous vous ferons sauter, » Daumesnil, lui montrant simplement un magasin où étaient amassés 1800 milliers de poudre : « S’il le faut, répondit-il, je commencerai et nous sauterons ensemble. » Les envoyés se retirèrent, peu rassurés, et le fort ne put être pris.

L’année suivante, les ennemis envahirent de nouveau la France et revinrent mettre le siège devant le fort de Vincennes. De nouveau, ils députèrent des envoyés vers Daumesnil ; mais comme la violence et les menaces n’avaient point réussi l’année précédente auprès du général, on essaya de le corrompre par de l’argent. Il était pauvre, on lui offrit un million pour qu’il rendît la place de Vincennes. Daumesnil répondit avec mépris à l’envoyé qui lui avait remis une lettre secrète du général prussien :

— Allez dire à votre général que je garde à la fois sa lettre et la place de Vincennes : la place, pour la conserver à mon pays, qui me l’a confiée ; la lettre, pour la donner en dot à mes enfants : ils aimeront mieux cette preuve de mon honneur qu’un million gagné par trahison. Vous pouvez ajouter que, malgré ma jambe de bois et mes vingt-trois blessures, je me sens encore plus de force qu’il n’en faut pour défendre la citadelle, ou pour faire sauter avec elle votre général et son armée.

LE POLYGONE DE VINCENNES. — On appelle polygone le lieu ou les artilleurs s’exercent à construire des batteries, à manœuvrer et à tirer les canons. Au milieu d’un vaste terrain vide se trouve une butte en terre qui sert de point de mire aux boulets. Les artilleurs sont à une grande distance de cette butte, et, d’après des calculs exécutés sur un carnet, ils tournent la gueule du canon dans la direction voulue et lancent le boulet.


Ainsi Vincennes demeura imprenable grâce à ce général qui, comme on l’a dit, « ne voulut jamais ni se rendre ni se vendre. »


— Bravo ! s’écria fièrement le petit Julien, voilà un homme comme je les aime, moi. Plaise à Dieu qu’il en naisse beaucoup en France comme celui-là ! Vive la ville de Périgueux, qui a produit un si honnête général.

Et après avoir regardé de nouveau le fort de Vincennes, pour faire en lui-même des comparaisons entre cette forteresse et les autres qu’il connaissait, Julien tourna la page et passa à l’histoire suivante :