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JEAN RIVARD

ruiné après trois ou quatre années d’exercice de sa nouvelle industrie.

« Et ses enfants, que deviennent-ils ? Dieu le sait.

« Plus j’y songe, mon cher ami, plus j’admire le bon sens dont tu as fait preuve dans le choix de ton état. Et quand je compare ta vie laborieuse, utile, courageuse, à celle d’un si grand nombre de nos jeunes muscadins qui ne semblent venus au monde que pour se peigner, se parfumer, se toiletter, se dandiner dans les rues… oh ! je me sens heureux et fier d’avoir un ami tel que toi.

« Je suis tellement dégoûté de la vie que je mène, mon cher Jean, que si je me sentais la force physique nécessaire, je te prierais de m’adjoindre à ton Pierre Gagnon qui, d’après le portrait que tu m’en fais, est bien l’homme le plus complètement heureux qu’il soit possible de trouver. Où donc le bonheur va-t-il se nicher ? Mais je ne te serais guère utile, au moins pendant longtemps ; je n’ai plus cette santé robuste dont je jouissais au collége. Les soucis, les inquiétudes ont affaibli mon estomac ; ma digestion ne se fait plus qu’avec peine. Je souffre déjà de cette maladie si commune parmi les gens de ma classe, la dyspepsie. Quelle différence encore entre toi et moi sous ce rapport ! Tes forces, me dis-tu, s’accroissent de jour en jour, tu possèdes un estomac d’autruche, et tu ignores encore ce que c’est qu’une indisposition même passagère. Ah ! mon cher ami, que je te félicite ! La santé, vois-tu, je l’entends dire tous les jours, et avec vérité, c’est le premier des biens terrestres.

« Tu veux absolument que je te donne des nouvelles de ma Belle inconnue. Eh bien ! mon cher ami, je continue à la voir chaque dimanche à l’église, et