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LE DÉFRICHEUR

Il est bien vrai que depuis six mois je n’ai guère eu l’occasion de fréquenter les auberges ni les mauvaises compagnies, et qu’il ne m’est pas arrivé souvent de médire ou parler mal de mon prochain ni de me quereller avec personne. C’est bien triste tout de même de passer la quasimodo sans communier ; c’est la première fois qu’il arrivera à Pierre Gagnon d’être au nombre des renards.[1]

— Ça ne t’arrivera pas, mon Pierre, dit Jean Rivard ; nous allons partir ensemble, pas plus tard que demain ; toi, tu t’arrêteras au village de Lacasseville où tu trouveras une chapelle et un missionnaire catholique. Tu y passeras deux ou trois jours, si tu veux, puis tu reviendras à Louiseville (c’est ainsi que Jean Rivard avait baptisé sa cabane et les environs de sa propriété.) Et moi, je poursuivrai ma route ; j’irai voir ma mère, mes frères, mes sœurs et le curé de ma paroisse.

— Ça me va, ça, tonnerre d’un nom ! s’écria Pierre Gagnon, dans un transport de joie.

Le lendemain, la neige qui restait encore sur le sol étant assez gelée pour porter un homme, les deux défricheurs partirent à pied sur la croûte[2], et en moins de trois heures ils eurent parcouru les trois lieues qui les séparaient des habitations ; après quoi Jean Rivard, donnant à son homme les instructions nécessaires, se fit conduire en voiture à Grandpré.

L’arrivée inattendue de Jean Rivard produisit,

  1. On appelle renards ceux qui passent le temps de Pâques sans communier.
  2. Mot canadien pour désigner la surface durcie de la neige.