Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, le défricheur, 1874.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
LE DÉFRICHEUR

aiment ça ; enfin vous avez du cœur, du courage, et les filles aiment ça encore plus que tout le reste. C’est clair que vous lui êtes tombé dans l’œil, et que vous êtes destinés l’un pour l’autre ; ça c’est écrit dans le ciel de toute éternité…

— Eh bien ! mon bon ami, dit Jean Rivard en se levant, quoique je n’aie pas toute ta certitude, ton bavardage cependant me fait du bien. Il est clair qu’un amoureux doit avoir un confident. Je me sens maintenant soulagé et je ne regrette pas de t’avoir dit ce que j’avais sur le cœur.

Pendant le cours des trois semaines que nos défricheurs consacrèrent à la fabrication du sucre, Mlle Louise Routier fut un fréquent et intéressant sujet de conversation. Jean Rivard eût donné volontiers tout son sucre d’érable pour la voir un moment dans sa cabane goûter un peu de sirop, de tire ou de trempette. Lorsqu’il faisait part de ce souhait à Pierre Gagnon : « Oh ! laissez faire, disait celui-ci, avant deux ans vous verrez que Madame viendra sans se faire prier, et que les années d’ensuite elle vous demandera des petites boulettes pour ces chers petits qui ne seront pas encore assez grands pour venir à la sucrerie. »

Jean Rivard ne croyait pas à tant de félicité mais ces propos de son compagnon avaient l’effet de l’égayer et de convertir ses pensées de tristesse en rêves de bonheur.

Nos deux hommes firent environ trois cents livres de sucre et plusieurs gallons de sirop. C’était plus qu’il ne fallait pour les besoins ordinaires de l’année, et Jean Rivard songeait à disposer de son superflu de la manière la plus avantageuse, lors de son voyage