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LE DÉFRICHEUR.

çaient par jeter un coup d’œil sur les arbres qu’ils destinaient à la destruction, afin de s’assurer dans quelle direction ils penchaient ; car tout arbre, même le plus fier, tend à pencher d’un côté plutôt que d’un autre, et c’est dans cette direction que doit être déterminée sa chute. Du matin jusqu’au soir nos deux défricheurs faisaient résonner les bois du son de cette utile instrument qu’on pourrait à bon droit regarder parmi nous comme l’emblème et l’outil de la civilisation. Les oiseaux effrayés s’enfuyaient de ces retraites naguère si paisibles. Quand le grand arbre de cent pieds de hauteur, atteint au cœur par le taillant de l’acier meurtrier, annonçait qu’il allait succomber, il y avait comme une seconde de silence solennel, puis un craquement terrible causé par la chute du colosse. Le sol faisait entendre un sourd mugissement.

De même que dans le monde politique, financier, commercial ou industriel, la chute des grands entraîne la ruine d’une multitude de personnages subalternes, de même la chute des grands arbres fait périr une multitude d’arbres moins forts, dont les uns sont décapités ou brisés par le milieu du corps, et les autres complètement arrachés de terre.

À peine nos défricheurs avaient-ils porté sur leur ennemi terrassé un regard de superbe satisfaction qu’ils se mettaient en frais de le dépecer. En quelques instants, l’arbre était dépouillé de ses branches, puis coupé en diverses parties, qui restaient éparses sur le sol, en attendant le supplice du feu.

Et les mêmes travaux recommençaient chaque jour.

Durant la première semaine, Jean Rivard, qui jus-