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JEAN RIVARD

donc, Jean, continua-t-il, d’un ton moqueur, est-ce que celui qui t’a cédé ce magnifique lopin s’engage à le défricher ?

— Nullement, repartit Jean, je prétends bien le défricher moi-même.

— Oh ! oh ! dirent en riant tous les jeunes gens composant l’entourage, quelle belle spéculation ! mais sais-tu Jean, que te voilà devenu riche ? cent arpents de terre… à bois… mais c’est un magnifique établissement…

— Si tu te laisses mourir de froid, disait l’un, ce ne sera pas au moins faute de combustible.

— À ta place, disait un autre, je me ferais commerçant de bois. »

Jean Rivard écoutait ces propos railleurs sans paraître y faire la moindre attention. Il laissa faire tranquillement, et quand les quolibets furent épuisés :

— « Riez tant que vous voudrez, dit-il, mais retenez bien ce que je vais vous dire :

J’ai dix-neuf ans et je suis pauvre ;… à trente ans, je serai riche, plus riche que mon père ne l’a jamais été. Ce que vous appelez par dérision mon magnifique établissement vaut à peine vingt-cinq louis aujourd’hui… il en vaudra deux mille alors.

— Et avec quoi, hasarda l’un des frères, obtiendras-tu ce beau résultat ?

— Avec cela, dit laconiquement Jean Rivard, en montrant ses deux bras. »

L’énergie et l’air de résolution avec lesquels il prononça ces deux mots firent taire les rieurs, et électrisèrent en quelque sorte ses jeunes auditeurs.

Il se fit un silence qui ne fut interrompu que par la voix de la sœur Mathilde qui, tout en continuant