Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, le défricheur, 1874.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
LE DÉFRICHEUR.

familles américaines traversèrent la frontière pour venir s’établir dans le canton de Stanstead et les environs.

Diverses causes retardèrent la colonisation de cette partie du pays. On sait que d’immenses étendues de forêts devinrent de bonne heure la proie d’avides spéculateurs qui pendant longtemps refusèrent de les concéder. Ce n’est que depuis peu d’années que l’adoption de mesures législatives, et la construction de chemins de fer et autres voies de communication dirigèrent l’émigration canadienne vers ces fertiles régions.

C’est là que Jean Rivard avait résolu de se fixer.

Ce fut une scène touchante dans la famille Rivard. La mère surtout, la pauvre mère déjà habituée à regarder son Jean comme le chef de la maison, ne pouvait se faire à l’idée de se séparer de lui. Elle l’embrassait en pleurant, puis s’occupait à préparer ses effets de voyage et revenait l’embrasser de nouveau. Il lui semblait que son enfant s’en allait au bout du monde et son cœur maternel s’exagérait les dangers qu’il allait courir.

Jean Rivard comprit que c’était l’occasion pour lui de se montrer ferme, et refoulant au fond du cœur les émotions qui l’agitaient :

— « Ma bonne mère, dit-il, vous savez que personne ne vous aime plus tendrement que moi ; vous n’ignorez pas que mon plus grand bonheur serait de passer ma vie auprès de vous, et au milieu de mes frères et sœurs. Les plaisirs du cœur sont si doux… et je pourrais les goûter dans toute leur plénitude. Mais ce bonheur ne m’est pas réservé. Je ne veux pas revenir sur les considérations qui m’ont fait prendre