Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, le défricheur, 1874.djvu/145

Cette page a été validée par deux contributeurs.
140
JEAN RIVARD

La mère Rivard resta pendant plusieurs minutes toute ébahie, toute interdite, ne pouvant en croire ses yeux, et Jean Rivard regretta presque de lui avoir causé cette surprise. Les frères et sœurs, moins énervés que leur mère, parlaient tous à la fois et criaient à tue-tête ; ce fut pendant quelques minutes un tapage à faire peur.

Mais chacun finit par reprendre ses sens, et l’on put bientôt se parler et se considérer plus froidement.

Jean Rivard trouva sa bonne mère bien vieillie ; ses cheveux avaient blanchi et de larges rides commençaient à sillonner son front. Elle se plaignait de fréquents maux de tête et d’estomac, et les attribuait en grande partie aux inquiétudes incessantes qu’elle éprouvait sur l’avenir de ses enfants.

Le résultat de ses travaux de l’année, que Jean Rivard s’empressa de mettre sous ses yeux, en l’accompagnant de commentaires, fut pour elle un grand sujet de consolation, en même temps qu’il parut surprendre le reste de sa famille.

— Oh ! pour ce qui est de toi, mon cher Jean, dit la mère, tu as toujours eu tant de courage, je suis bien sûre que tu réussiras ; mais tes jeunes frères que je laisserai avec si peu de fortune, que deviendront-ils après ma mort ?

— Eh bien ! maman, s’empressa de dire Antoine, le troisième des frères, qui arrivait à ses dix-sept ans, si c’est cela qui vous rend malade, consolez-vous : ne puis-je pas faire comme Jean, moi aussi ? Crois-tu, Jean, qu’avec mes quatre-vingts louis d’héritage je pourrais devenir un grand propriétaire comme toi ?

— Certainement, et si tu le désires, j’achèterai pour