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JEAN RIVARD

ques qui pourraient te paraître assez étranges. Telle grande dame, fille d’un négociant ou d’un artisan enrichi, ne regardera que d’un air dédaigneux telle autre dame qui ne sera pas alliée comme elle, par son mari, à telle ou telle famille. Il serait assez difficile de dire sur quel fondement reposent ces distinctions ; ce ne peut être sur le degré d’intelligence ou d’éducation, car, avec les moyens d’instruction que nous avons aujourd’hui, les enfants des classes professionnelles, commerciales ou industrielles ont à peu près les mêmes chances de perfectionnement intellectuel ; ce ne peut être non plus sur la naissance, car la plus parfaite égalité existe à cet égard dans notre jeune pays.

« On dit qu’aux États-Unis, le pays démocratique par excellence, ces prétentions existent d’une manière beaucoup plus ridicule que parmi nous.

« Ce sont donc de ces petites misères qui se rencontrent en tous pays et dans toutes les sociétés. Vous êtes heureux cependant à la campagne d’ignorer tout cela. Les seules distinctions qui existent parmi vous sont fondées sur le degré de respectabilité, sur l’âge et le caractère, comme le prescrivent d’ailleurs la raison et le bon sens.

« Sais-tu à quoi je songeais principalement en regardant cette foule joyeuse sauter, danser, boire, s’amuser ? Je songeais à toi, mon cher ami ; je songeais à tous ceux qui comme toi vivent dans les bois, exposés à toutes sortes de privations physiques et morales, travaillant jour et nuit pour tirer leur subsistance du sein de la terre. J’étais d’abord porté à m’apitoyer sur votre sort ; mais en y réfléchissant je me suis dit : quel bonheur après tout peut-on trou-