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JEAN RIVARD

La position de Jean Rivard devenait de plus en plus critique. Il songea à son couteau à gaine et porta timidement la main vers le manche : mais la mère ourse qui épiait ses mouvements se mit à grogner en laissant voir à notre héros six incisives et deux fortes canines à chacune de ses mâchoires. Quoique brave de sa nature, cette vue le glaça d’effroi ; il sentit ses jambes trembler sous lui. Il n’osait plus faire le moindre mouvement de peur d’attirer l’attention de son ennemie.

L’ourse ne bougeait pas, mais semblait prendre une attitude plus menaçante. Au moindre mouvement de ses petits elle paraissait prête à se lancer sur notre malheureux jeune homme.

Jean Rivard profitait bien des intervalles où Pierre Gagnon cessait de chanter pour l’appeler de nouveau, mais l’émotion altérait tellement sa voix qu’il ne pouvait plus guère se faire entendre à distance. L’idée lui vint de s’éloigner, et pour mieux se tenir sur ses gardes, de partir à reculons ; il se hasarda donc timidement à lever un pied et à le reporter en arrière, tout en tenant ses yeux fixés vers sa redoutable adversaire.

L’ourse ne parut pas d’abord faire attention à ce mouvement.

Il fit encore un autre pas en arrière avec le même bonheur ; il eut une lueur d’espérance ; il pensa involontairement à sa mère et à sa Louise, il lui sembla les voir prier Dieu pour lui, et une larme lui monta aux yeux… Il se croyait déjà sauvé, lorsqu’un des malheureux oursons, voulant probablement jouer et s’amuser comme font la plupart des petits des animaux, s’avisa de courir vers lui. De