Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, économiste, 1876.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
ÉCONOMISTE.

comme les gens diffèrent à ce sujet ! Il y a environ trois mois, un de mes amis, marié depuis six mois, me disait : mon cher Gustave, marie-toi aussitôt que tu pourras ; si tu savais combien l’on est heureux dans la société d’une femme intelligente et bonne ! Je le croyais sans peine. Mais l’autre jour, ce même ami me rencontrant s’écria tout-à-coup : ah ! mon cher Gustave, ne te marie jamais ; tu ne connais pas tous les embarras, toutes les inquiétudes, toutes les tracasseries du ménage. Depuis un mois, je vais chez le médecin et l’apothicaire plus de dix fois par jour ; ma femme est toujours malade, et je crains que nous ne perdions notre enfant…

« Et la voix lui tremblait en me disant ces mots.

« Aujourd’hui même je parlais de mariage à une autre de mes connaissances, père de quatre enfants. Il avait l’air abattu et en proie à une profonde mélancolie. Vous n’avez pas d’idée, me dit-il, de ce qu’il en coûte pour élever une famille ; on ne peut suffire aux dépenses, et on voit approcher avec effroi le moment où il faudra établir ses enfants. Avant d’abandonner votre heureux état de célibataire, faites des épargnes, mettez-vous à l’abri de la pauvreté ; vous vous épargnerez de longs tourments pour l’avenir.

« Chaque fois que j’entends faire des réflexions semblables, je me dis : en effet, n’est-ce pas folie à moi de songer au mariage ? Ne ferais-je pas beaucoup mieux d’amasser peu à peu un petit pécule, puis de voyager, faire le tour de notre globe, étudier les mœurs, les institutions des différentes nations, et revenir dans mon pays, me consacrer, libre de soins et d’inquiétudes, à la politique, aux affaires, devenir représentant du peuple et me rendre utile à mes compatriotes ?…