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JEAN RIVARD

pas obligés de prendre la poudre d’escampette. S’il n’existait que ce moyen pour nous mettre en évidence, m’est avis qu’il vaudrait tout autant se passer de gloire. Qu’en penses-tu, mon ami ? Pour moi, j’en suis venu à trouver, soit dit entre nous, le rôle que nous jouons tellement humiliant, et même dans certains cas tellement démoralisateur, que je suis décidé d’abandonner la partie, à la peine de rester inconnu toute ma vie. Toi, mon cher défricheur, je sais bien que tu abhorres tout ce fracas, et que tu n’aimes rien tant que la vie paisible et retirée. Je serais volontiers de ton avis, si j’avais une jolie petite femme comme ta Louise, je consentirais sans peine à vivre seul avec elle au fond des bois. Mais cet heureux sort n’est réservé qu’aux mortels privilégiés.

« Je crains bien que mes affaires de cœur n’aient plus le même intérêt pour toi, maintenant que te voilà vieux marié et père de famille. Sais-tu ce qui m’est arrivé depuis que j’ai perdu ma ci-devant belle inconnue ? Eh bien ! mon ami, te le dirai-je ? après m’être désolé secrètement pendant plusieurs mois, après avoir composé diverses élégies toutes plus larmoyantes les unes que les autres, après avoir songé à m’expatrier, j’ai fini par me consoler ; j’ai même honte de te l’avouer, je suis déjà depuis ce temps-là, devenu successivement admirateur de plusieurs autres jeunes beautés ; de fait, je me sens disposé à aimer tout le beau sexe en général. Je suis presque alarmé de mes dispositions à cet égard.

Que dis-tu de cet étrange changement ?

Il est vrai que je ne suis pas aveuglé et que je me permets volontiers de juger, de critiquer même les personnes qui attirent le plus mon attention. L’une