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ÉCONOMISTE.

ciers, de loups-garous ; elle n’eût jamais, pour tout l’or du monde, commencé un ouvrage le vendredi. Les jeunes gens s’amusaient quelquefois à la mystifier, et se donnaient le malin plaisir de l’effrayer.

Elle prétendait avoir des apparitions. Elle vit un jour une grosse bête noire se promener dans le chemin et s’avancer jusque sur le seuil de la maison.

Mais, malgré ces petits défauts, Françoise était une fille comme on en trouve rarement de nos jours, une fille de confiance, à laquelle les clefs d’une maison pouvaient être confiées sans crainte.

On ne pouvait raisonnablement s’attendre cependant à voir Pierre Gagnon jouer auprès de Françoise le rôle d’un jeune langoureux, trembler en sa présence, ou tomber en syncope au frôlement de sa robe. Notre défricheur approchait de la trentaine, et depuis l’âge de cinq ou six ans, il avait constamment travaillé pour subvenir aux besoins matériels de la vie. Il n’avait pas eu l’imagination faussée ou exaltée par la lecture des romans. La seule histoire d’amour qu’il eût entendu lire était celle de Don Quichotte et de la belle Dulcinée, et on peut affirmer qu’elle n’avait pas eu l’effet de le rendre plus romanesque. Il se représentait une femme, non comme un ange, une divinité, mais comme une aide, une compagne de travail, une personne disposée à tenir votre maison, à vous soigner dans vos maladies, à prendre soin de vos enfants, lorsque le bon Dieu vous en donne.

Mais ce qui prouve que l’indifférence de Pierre Gagnon pour Françoise n’était qu’apparente, c’est qu’il devenait de jour en jour moins railleur avec elle ; il arrivait assez souvent qu’après une kyrielle de drôle-