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JEAN RIVARD

qui tiendrait son ménage et l’aiderait dans ses travaux.

Jusque là notre défricheur, sans être tout-à-fait insensible aux grâces et aux amabilités du beau sexe, n’avait eu aucune sérieuse affaire de cœur. Il s’était contenté de faire étriver toutes les filles de sa connaissance. Celles-ci s’amusaient de ses drôleries, et lorsqu’il devenait trop agaçant, lui ripostaient énergiquement ; mais c’est tout ce qui s’en suivait. Une d’elles cependant, soit que Pierre Gagnon eût montré plus de persistance à la faire endêver, soit qu’il eût laissé échapper en lui parlant quelqu’un de ces mots qui vont droit au cœur des femmes, soit enfin que la conduite ou le courage bien connus de Pierre Gagnon lui eussent inspiré une admiration plus qu’ordinaire, une d’elles s’obstinait à parler de lui et à en dire constamment du bien.

C’était Françoise, l’ancienne servante du père Routier, qui avait montré tant d’empressement à suivre Louise dans le canton de Bristol.

À entendre Françoise, Pierre Gagnon n’avait pas son pareil. Il était fin, drôle, amusant ; elle allait même jusqu’à le trouver beau, en dépit de la petite vérole dont sa figure était marquée.

Il est vrai que Pierre Gagnon soutenait à qui voulait l’entendre que ces petites cavités qui parsemaient son visage étaient de véritables grains de beauté, et que son père s’était ruiné à le faire graver de cette façon.

Mais, même en admettant cette prétention, Pierre Gagnon, de l’aveu de tous, était encore loin d’être un Adonis ; ce qui démontre bien, comme on l’a déjà dit plus d’une fois, que la beauté est chose relative, et que l’on a raison de dire avec le proverbe : des goûts et des couleurs il ne faut disputer.