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JEAN RIVARD

autres occupations, mais je puis encore au besoin tenir tête à mes hommes.

« Une des grandes plaies de nos campagnes canadiennes, c’est la perte de temps. Des hommes intelligents, robustes, soi-disant laborieux, passent des heures entières à fumer, causer, se promener d’une maison à l’autre, sous prétexte qu’il n’y a rien qui presse, comme si le cultivateur n’avait pas toujours quelque chose à faire. Vous les verrez, sous le moindre prétexte, aller à la ville ou au village, perdre une journée, deux jours, en cabale d’élection, ou dans une cour de commissaires, ou pour faire l’achat d’une bagatelle ; vous les verrez souvent revenir à la maison, le sang échauffé, l’esprit exalté, et occupé de toute autre chose que de la culture de leur terre. Je ne parle pas des ivrognes. Le colon ivrogne est un être malheureux, dégradé, qui ne peut prétendre à la considération publique, qui ne saurait songer à améliorer sa position, et qui sait bien d’avance qu’il est condamné irrévocablement à vivre dans l’indigence et la crapule. Je ne veux parler que de cette classe d’hommes malheureusement trop nombreuse qui, parfaitement sobres, bons, gais, sociables, ont cependant le défaut de ne pas songer assez à l’avenir, de perdre chaque jour un temps précieux qu’ils pourraient consacrer à accroître leur bien-être et celui de leurs enfants. Ils ressemblent un peu à nos sauvages chasseurs ; ils ne songent pas au lendemain. Qu’ils tombent malades, qu’ils soient arrêtés par quelque accident, qu’ils décèdent tout-à-coup, leur famille tout entière est à la charge du public.

« Un grand avantage que possède l’ouvrier agri-