Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, économiste, 1876.djvu/129

Cette page a été validée par deux contributeurs.
130
JEAN RIVARD

« Supposons, dit-il, en conservant tout son sang-froid et en s’exprimant avec toute la clarté possible, supposons que pas un individu parmi nous ne sache lire ni écrire ; que ferions-nous ? où en serions-nous ? Vous admettrez sans doute, M. Gendreau, que nous ne pouvons pas nous passer de prêtres » ?

« — C’est bon, j’admets qu’il en faut, dit le père Gendreau.

— Ni même de magistrats, pour rendre la justice ?

— C’est bon encore.

— Vous admettrez aussi, n’est-ce pas, que les notaires rendent quelquefois service en passant les contrats de mariage, en rédigeant les testaments, etc. ?

— Passe encore pour les notaires.

— Et même, sans être aussi savant qu’un notaire, n’est-ce pas déjà un grand avantage que d’en savoir assez pour lire à l’église les prières de la messe, et voir sur les gazettes ce que font nos membres au parlement, et tout ce qui se passe dans le monde ? Et lorsqu’on ne peut pas soi-même écrire une lettre, n’est-ce pas commode de pouvoir la faire écrire par quelqu’un ? N’est-ce pas commode aussi, lorsque soi-même on ne sait pas lire, de pouvoir faire lire par d’autres les lettres qu’on reçoit de ses amis, de ses frères, de ses enfants ?

Il se lit un murmure d’approbation dans l’auditoire.

— Oui, c’est vrai, dit encore le père Gendreau, d’une voix sourde.

Il était d’autant moins facile au père Gendreau de répondre négativement à cette question, que lors de son arrivée dans le canton de Bristol, il avait prié Jean Rivard lui-même d’écrire pour lui deux ou trois lettres d’affaires assez importantes.