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JEAN RIVARD

grande partie de tourments d’esprit, d’inquiétudes causées par de folles spéculations sur les propriétés foncières. Il ne pouvait s’empêcher d’exprimer tout haut des regrets que, dans son état de santé, il eût cachés avec le plus grand soin.

« Voyez, me dit-il, d’une voix qui s’éteignait et me faisait monter les larmes aux yeux, voyez ce que c’est que cette vie du monde ! J’ai vécu dans l’opulence, j’ai eu beaucoup d’amis, j’ai mené grand train, et je vais en mourant laisser mes enfants non seulement sans fortune, mais dans le besoin et les dettes. J’ai joué ce qu’on appelle un rôle important dans le monde, j’ai occupé une position élevée, j’ai gagné des milliers de louis, ma maison, meublée magnifiquement, était ouverte à la jeunesse qui voulait s’amuser, ma femme et mes filles n’épargnaient rien pour paraître et briller… Mais qu’y a-t-il de sérieux dans tout cela ? Quel bien ai-je fait ? La vie d’une créature raisonnable doit-elle avoir un but aussi futile ?

C’est en exprimant de tels regrets qu’il vit approcher son dernier moment. Le lendemain, il expirait dans mes bras.

« J’étais là, seul, avec la famille. Pas un de ses anciens amis, de ceux qu’il invitait chaque jour à ses fêtes, ne se trouvait à son chevet.

« Et dire, mon cher ami, que cette vie est celle d’un grand nombre, dans cette classe qu’on appelle la classe bien élevée ! Tout le produit de leur travail passe en frais de réception, de toilette ou d’ameublement.

« Tu me diras : mais ne sont-ils pas libres d’agir autrement ? Quelle loi les empêche d’employer leur