mauvaise, mais dont la solution paraissait impossible. La ville de Soultz était désespérée des lenteurs et des hésitations de l’intendance. Dans le même temps, le génie tutélaire qui veillait sur les destinées de la ville favorisa la capture, dans le lac du Ballon, d’une truite colossale ; elle pesait 17 livres. L’aréopage municipal saisit avec finesse cet heureux coup du sort. Il délibéra d’envoyer en poste l’intéressant poisson à M. l’Intendant, ce qui fut fait. M. de la Galaizière, qui était un galant homme, fut touché de cette preuve de confiance en sa justice, et donna une solution immédiate et favorable à la difficulté. J’enregistre ce fait avec d’autant plus de satisfaction qu’il éclaircit à la fois les mystères de la procédure administrative de l’ancien temps et qu’il me fournit l’occasion de déterminer le volume exact d’une truite du Ballon, objet sur lequel j’avais déclaré ne pas posséder des renseignements historiques certains[1].
En dehors des modes divers d’accommodage du poisson que j’ai énumérés, a toujours régné la friture, formule antique et simple, découverte le jour même où l’homme, le poisson, le beurre ou l’huile se sont trouvés réunis pour la première fois. De pareils procédés n’ont d’autre date que le commencement de la société elle-même. Il n’y faut donc pas insister, si ce n’est pour remarquer que ce mets, outre son importance dans l’ordre alimentaire, en a encore une autre, d’une influence décisive sur l’esprit de famille et sur l’instinct de sociabilité. Qui est-ce qui n’a pas vu, en effet, dans le voisinage des villes assises sur les fleuves, les jours de fête et de loisir, des familles isolées ou associées, les enfants devant, les parents derrière, cheminer gaiement vers les retraites ombragées, les fraîches tonnelles, les tivolis bourgeois ou les tuscules démocratiques dans lesquels frémissent avec un bruit provocateur les poêles ardentes ? Ce n’est pas l’aliment qui est convoité, c’est le plaisir d’échanger la boutique, l’atelier,
- ↑ Je suis redevable de la communication de ce fait à un honorable notaire, très-versé dans la connaissance de l’histoire du pays.