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Elle paraît avoir entièrement reposé sur l’axiome : contraria contrariis sanantur. Un docteur colmarien du seizième siècle, Jean-Jacques Wecker, qui a écrit une pratique générale de la médecine[1] dédiée à l’empereur Rodolphe II, et qui laissa sa femme Anna Keller composer un livre de cuisine qu’elle dédia à la princesse d’Orange, admettait, sans doute avec tous les savants de son époque, que les maladies inflammatoires requéraient une nourriture rafraîchissante, les maladies froides un régime excitant ; les maladies humides un régime sec et les maladies sèches un régime humide ; les maladies inflammatoires et humides un régime rafraîchissant et sec, les maladies froides et humides un régime sec et chaud, et ainsi de suite[2]. D’après ces beaux principes, qui sont peut-être encore respectés aujourd’hui, Wecker avait classé les poissons parmi les aliments froids et humides, et il les employait pour combattre les maladies inflammatoires et dévorantes… Mais il les distinguait en deux catégories : ceux qui fournissent un bon suc produisant un sang généreux, comme le barbeau, la perche, l’huître, l’écrevisse, etc., et ceux qui fournissent un mauvais suc ne pouvant donner qu’un sang vicieux, tels que l’anguille, la carpe et toutes les espèces familières aux eaux dormantes. Il est assez probable que les gens du seizième siècle laissaient le brave docteur Wecker et ses confrères s’enfoncer et se perdre dans toutes ces savantes divisions et sous-divisions, et qu’on n’allait guère les consulter pour apprendre d’eux ce que l’on penserait du poisson que l’occasion envoyait.

Et, au fait, pourquoi consulter les oracles de la médecine quand on était décidé d’avance à manger le poisson, sans tenir aucun compte des règles rappelées par l’Esculape colmarien ? À la bonne heure s’il se fût agi de savoir à quelle sauce il serait servi ! Et encore ! L’histoire nous apprend que ce genre de problème est plus de la compétence des sénateurs que des médecins.

  1. Practica medicinæ generalis. Basileæ, Froben, 1585, petit in-8°.
  2. [Note absente dans le texte original (indication du transcripteur).]