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trophées ont eu la gloire de décorer des festins historiques. Mais s’il est beau, pour quelques-uns, de prendre le poisson, et si ce triomphe leur suffit, il peut paraître plus profitable, au grand nombre, de s’arrêter aux jouissances positives. Toute chose a son idéal et sa face matérielle, ses poëtes et ses prosateurs. Alexandre, dans ses conquêtes, pouvait se contenter de la joie de poursuivre son rêve, mais ses bandes de tueurs voulaient du butin, des dépouilles et des voluptés. Voilà la prose de l’art de la guerre. La pêche, comme tous les autres arts, a ses utilitaires, ses réalistes, ses prosateurs, qui préfèrent avoir le ventre à table que d’avoir les pieds dans l’eau. Il faut donc quitter le Rhin et ses grèves silencieuses qui font rêver ; l’heure est venue d’abandonner les bords riants et animés de l’Ill et de sortir des fraîches vallées où les torrents vosgiens roulent leurs eaux écumantes. Le pêcheur a détendu et ployé ses engins ; il va donner un coup d’œil curieux aux entreprises savantes et variées des femmes, des cuisinières, qui dévouent à la bouche avide des prosateurs les fruits de sa victoire.

Aujourd’hui, les progrès de l’art culinaire et la perfection des méthodes ont richement varié la mise en œuvre du poisson. Cet aliment sain et délicieux constitue une des sensualités les plus délicates de la table moderne, en même temps qu’un luxe de bon goût qui en rehausse le spectacle pittoresque. Mais autrefois, dans l’enfance de l’art, quand l’homme était plus préoccupé de se nourrir que de bien vivre, les moyens d’apprêter le poisson étaient réduits à une simplicité extrême, à un laconisme de formes primitif et radical. Une cuisson sommaire à l’eau dont la fadeur n’était relevée que par le parfum violent de quelques herbes à senteur âcre ou d’épices brûlantes ; la friture rapide et saisissante exécutée au beurre ou à l’huile ; tels étaient les deux modes uniques de préparation accrédités dans la cuisine ancienne. Si ces limites ont été heureusement franchies, nous en sommes redevables à l’art, à l’inspiration.

La vieille médecine affectionnait les contrastes et les oppositions.