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étangs du pays de Belfort et de la Lorraine amenèrent à Strasbourg leurs produits. Il en arrivait surtout beaucoup du fameux étang de Lindre, « le plus grand de la Gaule belgicque où se trouvent les plus gros brochets et les meilleures carpes du monde[1] ». L’écrivain que nous citons exagère le mérite de son pays, ou bien il n’avait pas un goût très-épuré, car les marchands de poissons d’Alsace ne manquaient pas d’assujettir à un stage prudent les hôtes que la Lorraine leur envoyait. « Ils sont portés dans les réservoirs du Rhin et de l’Ill où on les fait dégorger, et au bout d’un mois les poissons ont si bien perdu leur goût bourbeux qu’on les vend comme provenant des eaux vives de ces fleuves[2]. » En 1789, la corporation des pêcheurs demanda, dans son cahier de doléances, que le Magistrat proscrivit l’introduction en Alsace des poissons de la Lorraine. Mais le Magistrat s’y refusa par le motif que la facilité de l’alimentation publique en serait diminuée[3]. Nous subissons encore, cela va sans dire, la rectification inventée par l’amour du gain ; elle est excusée par l’indigence actuelle de nos rivières. Je ne souhaite qu’une chose, c’est que l’on respecte mieux la durée de la pénitence imposée par l’ancienne sagesse.

Il n’est pas sans intérêt de remarquer, pour l’histoire des mœurs, et pour faire ressortir l’importance positive et symbolique que les vieux âges attachaient aux poissons, surtout dans nos contrées, que cet objet alimentaire était toujours représenté dans les dons de joyeuse arrivée que les villes offraient aux souverains et aux grands personnages dont elles recevaient la visite. Quand Rodolphe de Habsbourg vint à Strasbourg en 1273, il fut richement gratifié. On lui donna 10 bœufs, 200 sacs d’avoine, 16 fuders de vin, un vase d’or avec 2,000 florins d’or, et des poissons

  1. Volkir de Séronville, Histoire de la triomphante victoire du duc Antoine. Paris, 1526, in-fol., ff. 16, v°.
  2. Dietrich, Descript. des gîtes de minerai de l’Alsace, p. 9.
  3. Heitz, Zunftwesen in Strassburg, p. 168.