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On pourrait peut-être s’en faire une idée par la tradition populaire répandue dans le pays, et qui place dans le lac du Ballon une truite immense, couverte d’une mousse antique et portant enraciné dans les chairs de son dos un sapineau vif et verdoyant[1]. Le lac de Gérardmer en fournissait du poids de 10 ou 12 livres. Enfin, l’Ill en a données, dans la banlieue de Colmar, du poids de 12 et de 14 livres. Il n’y a pas vingt ans que nos pêcheurs en ont pris une de 13 livres[2]. C’était probablement le dernier vestige du bon vieux temps !

Mais c’est surtout l’histoire de la pêche dans les eaux du Rhin qui nous fournit les types héroïques, des sujets dignes d’admiration. Le colossal esturgeon ne s’aventurait que difficilement jusqu’au Rhin supérieur ; cependant la fantaisie des voyages en amenait parfois jusqu’aux rives alsaciennes. Les anciennes chroniques ne manquent pas de signaler ses apparitions exceptionnelles. La prise d’un esturgeon était chaque fois une espèce de fête. Il était publiquement exposé. On accourait pour jouir de ce spectacle, et puis on le dépeçait et on le vendait. La taille de l’esturgeon varie entre un et six mètres ; son poids ordinaire est entre un et trois quintaux, et son poids extrême de 800 livres. La chair, prise dans le même individu, est très-diverse : quelques parties sont semblables à celle du bœuf ; d’autres ressemblent à celle du veau ; les meilleures ont une analogie très-étroite avec celle du saumon. La curiosité et le caprice avaient donc plus de part que la gastronomie dans l’empressement avec lequel il était enlevé. Baldner rapporte que de 1604 à 1624, en vingt ans, l’on n’en prit que trois aux environs de Strasbourg. Ils furent chaque fois exposés à la tribu des pêcheurs ; pour les contempler, il en coûtait 1 pfenning ; on les vendit à raison de 1 schilling par livre[3]. En 1654 on en prit aussi un, mais il ne pesait que 130

  1. Stœber, Sagen des Elsasses, p. 46.
  2. Je dois ce renseignement à M. Wertz, maître pêcheur.
  3. Baldner, Grosse Fischbuch, mss. cité…