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règne des Antonins jusqu’à celui de Louis XIV. Quels en furent les dépositaires ? Les Juifs. Leur haine patiente confisqua cette jouissance pendant plus de douze siècles sur la chrétienté. Le foie d’oie ne reparut dans le monde, après cette longue éclipse, qu’au commencement du dix-huitième siècle, avec la régence et les philosophes. Mais sa culture était toujours un arcane, dont les Juifs de Metz et de Strasbourg avaient seuls la possession. « On ignore leurs procédés ; ce secret est une branche de commerce qui les enrichit[1]. » Le siècle de Voltaire et de la Révolution devait soulever tous les voiles et percer tous les mystères. Quand le Théâtre d’agriculture d’Olivier de Serres fut réimprimé en 1808, les Juifs avaient gagné l’égalité civile, mais perdu le monopole du secret qu’ils avaient emporté de la ville éternelle le jour, peut-être, où elle fut pillée par les Vandales de Genséric. Voici ce que dit un des commentateurs du Théâtre d’agriculture. « En Alsace, le particulier achète une oie maigre qu’il renferme dans une petite loge de sapin assez étroite pour qu’elle ne puisse s’y retourner ; cette loge est garnie dans le bas-fond de petits bâtons écartés… et en avant, d’une petite ouverture pour passer la tête ; au bas, une petite auge est toujours remplie d’eau dans laquelle trempent quelques morceaux de charbon de bois. Un boisseau de maïs suffit pour la nourriture pendant un mois, à la fin duquel l’oiseau se trouve suffisamment engraissé. On fait tremper dans l’eau, dès la veille, un 30e du grain qu’on insinue dans le gosier le matin, puis le soir ; le reste du temps l’oie boit et barbote. Vers le vingt-deuxième jour, on mêle au maïs quelques cuillerées d’huile de pavot ou d’œillette. À la fin du mois, on est averti par la présence d’une pelotte de graisse sous chaque aile ou par la difficulté de respirer, qu’il est temps de la tuer ; si l’on différait, elle périrait. Son foie alors pèse depuis une livre jusqu’à deux. L’animal se trouve excellent à manger, fournissant pendant la cuisson depuis trois jusqu’à cinq livres de

  1. Legrand d’Aussy, Vie privée des Français, t. Ier, p. 360.