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les laissons à nos seigneurs, et nous nous contentons des oiseaux domestiques, jusqu’à ce que les farouches nous tombent entre les mains. » Vous entendez cette menace. C’est un écho du sixième article de la charte des paysans insurgés de 1525. Dans deux siècles cette parole révolutionnaire sera réalisée et aura passé de la cuisine dans la Constitution.

À la tête des gallinacés brillait le coq de bruyère. Il fut de tout temps un morceau triomphal, en Allemagne, parce qu’il était tout ensemble magnifique de plumage, excellent de chair, peu commun et difficile à atteindre dans ses retraites élevées. On n’en voyait que sur la table des princes, des évêques, des riches abbés, des puissants gentilshommes. Un petit gentillâtre, à qui le hasard d’une chasse heureuse livrait une de ces nobles bêtes, eût craint de commettre une profanation s’il n’en avait pas fait hommage à son suzerain, à son protecteur ou à son redoutable voisin. Le coq de bruyère n’était pas seulement un mets seigneurial ; il avait un autre privilège encore ; il était admis à la table des grands comme une victime héroïque, couvert de l’éclatante parure qu’il avait promenée dans la liberté des grands bois. Un coq de bruyère détruit et sacrifié au dieu de la bonne chère était un événement déjà au commencement du dix-septième siècle. C’est homme grave, un historiographe du roi, qui nous l’apprend[1]. Le maréchal de Guébriant, qui commandait les armées du roi de France, était au château de Dachstein. Condé lui amenait les renforts qu’il avait demandés à la cour. À la nouvelle de l’arrivée du prince, le maréchal se mit en devoir de recevoir dignement le jeune vainqueur de Rocroi. Il écrivit de tous côtés pour réunir les éléments d’un somptueux festin. La ville de Colmar, pour le dire en passant, y contribua, en envoyant, par un nommé Walch, des perches, des carpes et des brochets, dans la forteresse de Dachstein. La diplomatie elle-même s’en mêla. Le résident français à Strasbourg, M. de l’Isle, adressa au maréchal, le 22 octobre

  1. Le Laboureur, Vie du maréchal de Guébriant, p. 689.