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bonne heure, voilà un régime qui ne faisait pas de sybarites et encore moins de podagres !

Je m’imagine volontiers que les basses-cours de la vieille Alsace l’emportaient sur les nôtres, non pour la variété des espèces, mais pour la richesse de leurs populations. Il n’en faut d’autre preuve que ces innombrables redevances en poules et chapons auxquelles étaient assujetties presque toutes les maisons et toutes les terres soit au profit des seigneurs, soit au profit des établissements religieux. Les réfectoires monastiques et les cuisines nobles étaient un gouffre béant où descendait chaque année un monde de volatiles. Oh ! que les savants ont d’étranges idées ! Ils s’épuisent à expliquer par le symbolisme féodal des redevances qui s’expliquent si bien par l’appétit des chevaliers et la gourmandise des moines. Voilà ce que c’est d’ignorer que la chair des alectrides, celle des chapons surtout, tenait chez nos pères un des premiers rangs dans la série des préférences gastronomiques. Les pigeons, les canards, les oies étaient bien loin de jouir des honneurs d’une égale estime. Leur chair lourde et grossière, dit Jérôme Bock, exige des estomacs robustes et ne convient qu’à des gens très-bien portants. Au quinzième siècle, on ne trouvait le paon que dans les basses-cours des nobles, qui le faisaient servir dans les repas de fête ; pendant tout le moyen âge, il eut l’honneur de passer pour la nourriture des amants et la viande des preux ; mais au seizième siècle, il était déjà au déclin de sa gloire. Les nobles furent aussi les premiers, naturellement, qui reçurent le dindon des mains des Jésuites. Avec la liberté, ils se sont répandus partout, je parle des dindons. On voit que les Jésuites ont du bon. Ah ! oui, si nous ne leur devions que cela !…

Parmi les gallinacés qui vivent à l’état d’indépendance, le faisan, la gelinotte, la perdrix, la bartavelle, le lagopède, passaient pour des mets agréables au goût et profitables à la santé. « Mais n’en mange pas qui veut, dit un vieux docteur cuisinier[1] ; nous

  1. Kreutterbuch de 1577, p. 427.