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des mets dont l’apprêt élémentaire et primitif nous ferait faillir le cœur. C’est une fondamentale erreur. En aucun temps, l’usage ou plutôt l’abus des épices ne fut plus considérable qu’au moyen âge et à l’époque de la Renaissance. La cannelle et le gingembre sont entrés dans la cuisine avant le seizième siècle ; le gingembre de la Mecque était très-estimé ainsi que celui de Calicut confit dans son état vert avec du sucre. Le gros piment de Sumatra et le piment rond de la côte de Malabar étaient un objet de passion. Les Moluques donnaient le clou de girofle, les muscades et les macis ; l’Inde les mirobolants crus et confits, le cinnamome ; Java le poivre cubèbe ; le Malabar le poivre ordinaire. On racontait sur cette denrée diverses fables. Le poivre vient, disait-on, sur un arbre de l’Inde semblable au genévrier ; la forêt où croissent les poivriers est infestée de serpents ; pour cueillir le poivre, les habitants allument des feux par lesquels ils chassent les reptiles ; le poivre brûlé par ces feux est ce qu’on appelle le poivre noir, le reste est blanc[1]. Le chroniqueur Richard de Cluni nous apprend aussi qu’au douzième siècle les marchands exerçaient déjà des fraudes coupables sur les épices ; on humectait le poivre avec l’écume du plomb fondu pour le rendre plus pesant[2]. La ville de Breslau était un grand marché pour les épices d’Orient, ainsi que Marseille et quelques villes d’Espagne. Les marchands de Venise avaient le monopole d’approvisionner le Nord ; ils le faisaient surtout par le port de l’Écluse, d’où leurs marchandises passaient à Bruges qui, jusqu’à la fin du seizième siècle, fut la plus grande place de commerce du Nord. Après la découverte du cap de Bonne-Espérance, Anvers supplanta Bruges. L’Alsace recevait ses épices par toutes ces voies et encore par Nuremberg et Augsbourg, qui avaient des relations directes avec Gênes et Venise. Il se tenait à la Pentecôte une grande foire de denrées du levant à Ems en Autriche, et comme on y voyait déjà au treizième siècle de

  1. Depping, Histoire du commerce entre le Levant et l’Europe, t. Ier, p. 145.
  2. Apud Muratori, Antiq. ital., t. IX.