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l’avaient dévasté. L’évêque Jean de Manderscheid le sauva et le rétablit. Pendant que le bon prélat voyait les murailles et les tours se relever, une fantaisie innocente, mais originale pour un prince de l’Église, traversa son imagination. « J’ai bien envie, pensa-t-il, de faire de ce nid d’aigles le Capitole des francs-buveurs de mon évêché ; ils ne le trouveront pas trop haut dès qu’ils le sauront pourvu de bon vin. Il y a assez de Sorbonnes qui ont jeté le trouble dans les esprits et la désunion dans les cœurs ; j’en veux créer une dont les dogmes ne susciteront ni schisme, ni hérésie dans ce bon pays d’Alsace. » Ce rêve souriant prit un corps, et, le 17 mai 1586, Jean institua au Hoh-Barr une confrérie de buveurs, sous le titre de « Confrérie de la Corne[1] ». D’où venait ce nom ? Des profondeurs mêmes des anciennes mœurs germaniques ; nos ancêtres aimaient à boire dans ces immenses cornes de buffle, souvenir et trophée de leurs chasses ardentes. Jean de Manderscheid en avait trouvé une dans l’héritage de ses pères ; elle contenait quatre litres. Il en fit don à son académie poculative, voulant que le symbole répondit au titre, et le principal instrument de travail au symbole. Elle était artistement ferrée de trois cercles de cuivre doré qui portaient ces légendes : En haut : India remota cornu dedit, da Deus præsens presidium huic arci, tuoque favore cornu illius evehe ; au milieu : Reperi destitutum, reliqui munitum, maneat tibi tuta custodia ; au bas :


Non minor est virtus quam quærere parta tueri.


Pour être jugé digne d’entrer dans l’alliance des buveurs du Hoh-Barr, il fallait faire ses preuves de capacité. Celui-là seul était proclamé membre du vénérable corps qui vidait d’un seul trait la vaste corne remplie de deux pots de vieux Lüppelsperger, de Wolxheim doré ou de vin du Rhin. Les faibles et les infirmes qui succombaient à l’épreuve étaient repoussés.

  1. Grandidier, Anecdotes sur la confrérie du Hoh-Barr. Nancy, 1850. In-8°.