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alma mater, comme disaient les anciens. L’homme et la terre, après les tortures séculaires de la faim, s’associaient de nouveau, dans ce nom, d’une tendre et charitable sympathie. La modeste pomme trouvée parmi les sauvages d’Amérique rachetait les malheurs de la tentation qu’avait exercée la pomme dorée du paradis terrestre.

La culture de la pomme de terre se révèle en Alsace dès la fin du seizième siècle ; mais ce n’est encore qu’une curiosité. Melchior Sebizius en parle dans son édition du Kreutterbuch de Bock. Sa propagation fut lente et entravée par le préjugé et la routine. Elle resta longtemps reléguée au plus profond de nos montagnes des Vosges, où elle passait pour un fruit vil et grossier, plus propre à la nourriture des animaux qu’à l’alimentation des hommes. Dans les dernières années du seizième siècle, elle passa de la vallée de Schirmeck dans les domaines des abbayes de Senones, de Moyenmoutier, du chapitre de Saint-Dié et dans le comté de Salm. Mais sa culture fut abandonnée, on ne sait pourquoi. Elle ne reprit d’activité qu’au milieu du dix-septième siècle, et, chose étrange, les Lorrains attribuèrent aux Suédois l’honneur de son importation dans leurs montagnes. Cette culture était devenue assez considérable sur la fin du dix-septième siècle, pour que les gens d’église trouvassent profitable d’en soumettre les produits à la dîme. Ce fut le curé de la Broque qui prit en main l’intérêt du clergé et réclama judiciairement la part de l’église. Une sentence du prévôt de Badonviller, en date du 19 octobre 1693, condamna les récalcitrants à servir cette part, qui fut fixée au cinquantième du produit[1]. Toute la vallée de Celles fut soumise à la même redevance. Comme c’est certainement le premier exemple de l’assujettissement de ce tubercule à la dîme, il faut léguer à l’histoire le nom de ce curé ennemi de la pomme de terre. Il s’appelait Louis Piat.

Le Ban-de-la-Roche doit sa civilisation aux pasteurs que la

  1. Gravier, Histoire de Saint-Dié, p. 319.