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il condamna un homme de Rodern et sa femme à être menés par deux valets de police à travers les rues de Bergheim, un jour de marché, avec écriteaux devant et derrière portant ces mots en français et en allemand : Frelateurs de vin. Ces deux époux avaient renforcé l’éclat de leur vin rouge avec de la morelle et avaient tué un buveur. Aussi payèrent-ils, en outre, « 30 livres d’aumônes pour faire prier Dieu pour le défunt ». Cet arrêt motiva l’émission d’un règlement général sur la falsification des vins[1]. Cette honnête pratique florissait déjà au quinzième siècle, où Sébastien Brant s’en indignait[2]. La chimie et ses merveilles sont plus vieilles qu’on veut nous le faire croire.

Les francs-buveurs en avaient aussi une à leur usage et qu’ils appliquaient dans les cas difficiles ou délicats. Les anciens botanistes sont remplis de recettes secourables et de secrets utiles pour combattre l’autorité potentielle du vin et pour la réduire à une influence purement bienfaisante. Par exemple, le cresson d’hiver avait le prédicat de rétablir la gaîté et la vigueur des lutteurs aux abois ; la fleur de bourrache immergée dans le vin était un exhilarant de premier ordre ; les soucis, la mélancolie s’enfuyaient à tire-d’aile et notre vallée de larmes se peignait en rose aux yeux du buveur charmé ; le coing frit ressuscitait des plus profonds accablements et ramenait le jour le plus pur dans les cerveaux enténébrés ; les œufs sur le plat étaient souverains pour rendre le même service ; la ciboule appartenait au système préventif, préférable en cette matière, comme en d’autres ; il en était de même du safran, mais son empire était temporaire, car il n’agissait qu’associé au vin doux ; en revanche, la vertu des fleurs de bétoine en poudre était permanente ; prises le matin, à jeun, elles tenaient l’ennemi à distance, et en cas de bataille assuraient la victoire. Je n’affirmerai point que ces recettes sont encore aussi infaillibles qu’au seizième siècle ; le monde a fait tant de progrès

  1. Corberon, loc. cit., p. 641.
  2. Brant, Narrenschiff, édition de Strobel, p. 265.