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coup de vin sur la salade ou sur les œufs causait un préjudice notable au médecin :


E Trunck uff de Salat
Schad im Docter e Dukat,
E Trunck uff e-n-Ei
Schad im Docter zwei[1].


(Un coup de vin sur la salade enlève un ducat au médecin ; un coup sur un œuf lui en enlève deux.)


Il était de principe aussi qu’on ne pouvait sans honte se soustraire à l’obligation de boire, dans les réunions, assemblées et occasions où cet exercice faisait l’occupation principale. Celui qui faiblissait était rappelé énergiquement au devoir par cette apostrophe : Sauff oder Iauff ! Nos paysans seront bien étonnés d’apprendre qu’en usant de ce dicton, ils font de la littérature grecque. Les Athéniens du temps de Périclès disaient exactement la même chose : ἢ πιδι ἢ απιδι. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil, pas même la coutume de faire boire à un survenant dans son verre, qui remonte aux Celtes[2].

Toutes les classes de la société, tous les âges étaient infectés de ce matérialisme grossier, de cette sensualité basse qui a fait des derniers siècles l’époque héroïque, le cycle chevaleresque de la beuverie. La plèbe, la bourgeoisie, la noblesse, le clergé, toutes les conditions étaient marquées de ce vice honteux. La jeunesse qui fréquentait les écoles publiques pour se préparer aux autels, aux tribunaux, à l’art de guérir, à l’enseignement, n’en était pas exempte, non plus que les femmes qui accompagnaient leurs maris, leurs frères, leurs fiancés, au cabaret. Geiler nous a laissé un tableau coloré de la vie désordonnée que menaient les étudiants de son siècle : « Quand on les croit occupés à étudier, ils s’occupent à faire l’amour. D’une nuit à l’autre, ils parcourent la ville au bruit des luths, des violons, des harpes et des cithares pour cultiver les amourettes, jusqu’à en devenir ivres et insensés.

  1. Alsatia de 1851, p. 28.
  2. Grandidier, Histoire d’Alsace, t. Ier, p. 38.