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trouvé des mentions dès le seizième siècle, ce qui la reporte de plein droit dans le moyen âge.

Maugue, qui était plus curieux qu’indulgent à l’égard des mœurs alsaciennes, parle avec aussi peu de respect d’un autre aliment dont le rôle est aujourd’hui, heureusement, bien déchu de ce qu’il fut autrefois, les Schnitzen. Si sa plume welche écrivit mal le mot (Chneits), elle définit pourtant bien la chose : « quartiers de pommes et de poires séchées au four et cuites dans un pot avec de la graisse ou du lard[1]. » C’était, selon lui, le mets traditionnel du lundi, car nous verrons plus loin que ce grand indiscret avait aussi remarqué que la table alsacienne était soumise à la loi d’une certaine périodicité, loi que l’usage n’a pas encore complètement abrogée de nos jours. Il n’est pas nécessaire de dire que les Schnitzen sont aussi, de toute évidence, un mets des plus antiques ; les éléments qui le constituent et le peu de délicatesse qui préside à leur accommodage nous permettent d’en faire honneur à l’imagination de quelque cuisinier druide, vandale ou gépide. L’ancienne Touraine usait également de ce mets.

Je n’ai dit qu’un mot, en passant, de la pomme de terre. Je crois avoir lu qu’on l’appela d’abord pomme péruvienne ou pomme indique. L’expression n’était ni trop belle, ni trop poétique pour ce tubercule sauveur qui a eu la gloire de détrôner la famine, ce minotaure des peuples du moyen âge. Pourquoi n’a-t-on pas conservé ce nom qui rappelait que nous devions ce pain végétal à l’empire du Soleil, que le génie européen l’avait conquis au delà des mers pour nourrir les populations pressées du vieux monde ? C’est que la reconnaissance publique a un autre vocabulaire que l’Académie, et le cœur du peuple une poésie plus profonde que celle des poëtes de profession. La langue populaire fit de la pomme indique la pomme de terre, désignant par cette expression claire et générale le fruit nourricier par excellence des pauvres, la ressource principale tirée du sein de la terre, la mère commune des hommes,

  1. Histoire naturelle de la province d’Alsace, t. Ier, p. 129.